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Quelle misère!

Tout le monde rêve d’être indispensable. Pourtant chacun sait que tôt ou tard, un être plus jeune, plus beau ou plus polyvalent va se présenter, et convoiter son poste, la place dans le cœur ou la vie des êtres aimés. C’est ce drame que le chien Haktor, dans la fable imaginée par Jon Fosse, redoute de traverser. Depuis de longues années, Haktor est chien de bateau sur le caboteur Le Fou de Bassan. Même s’il commence à se faire vieux, il est fier de continuer à naviguer, d’être un chien de bateau accompli et expérimenté. Le Capitaine Phosphore, son maître, n’est plus tout jeune lui non plus. Pour rien au monde, il ne voudrait changer de chien, même si Haktor connaît parfois quelques petites défaillances. Einar, le second du bateau, est moins tendre. Il ne comprend pas pourquoi on s’encombre encore d’un vieux chien juste bon à « être jeté à la flotte ». Mais le Capitaine Phosphore a une idée derrière la tête. Adopter un second chien, ou plus exactement, une chienne. « Lorsqu’il y a deux chiens à bord, un mâle et une femelle, ils finissent en général par faire des chiots ». C’est ainsi qu’embarque la pétulante Loliletta... Il n’y a en effet pas d’âge pour redouter la venue d’un tiers. Ainsi, le drame de Haktor est-il autant celui du vieillard qui a peur de perdre son travail et sa place dans la société, que celui de l’enfant qui redoute la venue d’un nouveau petit frère ou d’une nouvelle petite sœur. Loin de la question du chien, c’est donc à une fable universelle sur la peur d’être remplacé que nous invite Jon Fosse, et c’est celle-ci que la mise en scène de Guillaume Béguin rend visible, à travers un jeu de rôle identitaire troublant et mystérieux.

La parole du metteur en scène

Il y a des enfants qui ont des amis imaginaires qui les accompagnent tout au long de la journée, et même dans leurs rêves. Quelquefois ces amis imaginaires prennent tant d’importance que toute la famille commence à les connaître et à interagir avec eux. Puis ces amis imaginaires prennent le dessus. Bientôt ils doivent être consultés à tout propos. Leur « propriétaire » ne peut plus faire partie du monde sans eux. Ce sont eux qui savent, ce sont eux qui répondent aux questions. Leur « propriétaire » s’est retranché derrière eux. Il y a des vieux qui sont aux abonnés absents. Ils ne répondent plus aux sollicitations de leurs enfants, de leurs amis, des gens qui prennent soin d’eux. On ne sait pas dans quel monde ils errent, s’il y en a seulement un, et quels sont les personnages imaginaires qui le peuplent. Le héros du Manuscrit des chiens n’est pas un chien. C’est un petit garçon ou un vieillard. Un petit garçon ou un vieillard qui est peut-être un peu fâché avec la réalité. A côté de lui, il y a le Capitaine Phosphore et le vaurien Heinar. Le Capitaine est peut-être sa maman, ou sa femme. Heinar, sa sœur ou son fils. Et, bientôt, il y aura l’étrangère, la femme, la menace, l’outsider, la dangereuse Loliletta. Phosphore, Heinar et Loliletta ne sont pas leurs vrais noms. Ce sont les noms des personnages imaginaires qu’ils sont devenus, dans le monde imaginaire du héros du Manuscrit des chiens. La famille du chien de bateau Haktor – puisque tel est le nom du héros du Manuscrit des chiens – n’est pas une famille traditionnelle. Dans cette famille, on ne peut pas s’adresser la parole directement. On doit parler à son personnage imaginaire. On ne peut pas dire : « Mon chéri, viens prendre ton petit déjeuner ». On doit dire : « Chien de bateau Haktor ! Viens, je vais te donner du lard par-dessous la table ». Et lorsqu’on est fâché avec l’autre, on ne peut pas lui dire : « Je n’aime pas quand tu fais ça, ça m’énerve, ça m’énerve tellement ! » On doit lui dire : « Alors, chien de bateau Haktor, on a encore pissé sur le pont ? Tu ne pouvais pas attendre d’être sur le quai ? » Non, la famille de Haktor n’est pas traditionnelle. Et pourtant, comme dans toutes les familles, il y a des gens qui s’aiment, il y a des rivalités et il y a des relations qui se transforment. L’amour change et se partage autrement. Et quelquefois l’amour engendre de la peur. Peur que l’amour disparaisse, justement. C’est ce qui est en train d’arriver dans cette famille. Haktor et Phosphore ont vieilli. Ont grandi. On ne sait pas très bien quel âge ils ont. Quoiqu’il en soit, ils ne peuvent plus rester seuls. Une nouvelle venue va faire son apparition. C’est Loliletta. Est-ce une nouvelle maîtresse, une nouvelle petite sœur ? On ne sait pas très bien. Dans cette famille, les relations sont étranges. Les personnages imaginaires ont des rôles fluctuants. Ce qui est certain, cependant, c’est que Haktor aime Phosphore. Et qu’il n’a pas envie que Loliletta prenne sa place dans le cœur de Phosphore. Pourtant Haktor perçoit que les choses ont changé. Lui-même a grandi. A vieilli. Son corps ne répond plus comme avant. Il ne peut plus dormir avec sa maman ou sa femme. Il doit laisser la place à quelqu’un d’autre. Et ça, il ne peut pas le supporter.

Biographies

JON FOSSE Ecrivain norvégien né en 1959, Jon Fosse est l’auteur d’une quinzaine de pièces de théâtre, dont les plus connues sont Le Nom, Un jour en été, Quelqu’un va venir, Variations sur la mort, Je suis le vent… Il est également romancier, essayiste, poète, traducteur, et auteur de contes et de pièces de théâtre pour enfants. Le Manuscrit des chiens III est sans doute sa pièce jeune public la plus connue. Il est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands dramaturges vivants ; il a reçu de nombreux prix, dont le prix Ibsen. GUILLAUME BÉGUIN Né en 1975 à La Chaux-de-Fonds, Guillaume Béguin, diplômé du Conservatoire de Lausanne en 1999, est metteur en scène et comédien. De 1999 à 2009, il est le codirecteur du Collectif Iter (La Confession, Le Voyage, Les Voix humaines et Les prétendants). En 2006, il fonde la compagnie de nuit comme de jour, avec laquelle il développe ses projets artistiques. En 2007, mise en scène de Matin et soir de Jon Fosse. En 2009, En même temps d'Evguéni Grichkovets, puis, l'année suivante, le diptyque Autoportrait et Suicide d'Édouard Levé. En 2011, il porte à la scène La Ville de l'auteur anglais Martin Crimp, et, en 2012, L’Épreuve du feu du suédois Magnus Dahlström. Il aborde ensuite l'écriture de plateau avec la création du Baiser et la morsure - opus 1 (2012) et opus 2 (2013). Le Manuscrit des Chiens III est sa première création tout public.

La Compagnie du Gaz

La Compagnie a été fondée en décembre 2003 pour la création du feuilleton théâtral Dysfonctions et Maltraitances joué au théâtre ABC à La Chaux-de-Fonds. Ce travail était le fruit d’une collaboration artistique entre Antoine Jaccoud, Robert Sandoz et Françoise Boillat. En 2006, la Compagnie de Gaz et la Compagnie Selma 95 coproduisent En attendant la grippe aviaire. En 2010, la compagnie monte Trois sœurs moins le quart. Une adaptation librement inspirée des Trois Sœurs d’Anton Tchekhov, où l’amour est exprimé en puissance au travers de chansons romantiques. La saison dernière, la Compagnie du Gaz a créé deux spectacles à La Chaux-de-Fonds, Les Biches au centre de culture ABC et Le Manuscrit des chiens III au TPR.

Distribution et crédits

Texte Jon Fosse traduction Terje Sinding Mise en scène Guillaume Béguin Avec Françoise Boillat Jean-Louis Johannides Johanne Kneubühler Laurence Maître Collaboration artistique Françoise Boillat Scénographie Sylvie Kleiber, Léa Glauser Lumière Matthias Mermod Costumes Julien Choffat Musique Stéphane Vecchione Régie Générale Didier Henry Assistanat à la mise en scène Isabelle Vesseron Diffusion Delphine Prouteau Production Compagnie du Gaz et Compagnie de nuit comme de jour Coproduction TPR - centre neuchâtelois des arts vivants. Avec le soutien de Loterie Romande, Canton de Neuchâtel, Ville de La Chaux-de-Fonds, Pour-cent culturel Migros, BCN – Fondation culturelle, Corodis, Ernst Göhner Stiftung. L’Arche est éditeur et agent théâtral du texte représenté.

Dès 10 ans

Texte Jon Fosse
Traduction Terje Sinding
Mise en scène Guillaume Beguin

DOSSIER DE PRESSE
DOSSIER PÉDAGOGIQUE


MARS
ven 20 19h
sam 21 17h
dim 22 17h

manuscript des chiens
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manuscript des chiens Photos: Pablo Fernandez